De la Légion d'honneur à la médaille des épidémies. Ces décorations qui font marcher le monde

Une médaille pour les soignants est sur les rails. Il s’agit d’une ancienne distinction remise au goût du jour.

Visuel : Première remise des insignes de la Légion d’honneur par Napoléon dans l’église des Invalides, le 15 juillet 1804 © MLH

Des décorations pour les soignants ? L’idée, mûrie pendant le pic de la crise sanitaire, a été émise par le gouvernement. Cette « médaille de l’engagement » pourra être décernée à titre individuel ou collectif, après réactualisation par un décret, ont indiqué les pouvoirs publics. Réactualisation est le mot qui convient car cette distinction n’est pas nouvelle : la médaille d’honneur des épidémies date très précisément de 1885 ; à l’époque, le ministère du Commerce, auquel sont rattachés les services de l’hygiène publique, est chargé de la décerner ; il s’agit de rendre hommage aux personnes qui se sont dévouées pour combattre l’épidémie de choléra, en 1884. Cette pandémie qui frappe surtout le sud de la France (Marseille, Montpellier, Arles, Toulon…) est arrivée sur les bords de la Méditerranée en provenance de Saigon (alors capitale de la Cochinchine coloniale). Le choléra fera plus de 3 000 victimes dans la cité phocéenne.

À la fin du XIXème siècle, la solidarité est déjà érigée comme une valeur cardinale pour affronter l’épidémie. Ainsi Louis Combet, médecin de la Faculté de Montpellier, en appelle à cette « grande loi de la nature » : « Que nul ne se sauve, poussé par la peur et l’égoïsme, écrit-il dans une brochure, mais que tous s’entraident fraternellement, dans la cité frappée par le fléau, pour le détruire. » Combet n’est pas seulement médecin, il est aussi auteur dramatique : les mots servent aussi à soigner.

La médaille d'honneur des épidémies

A compter de 1900, le ministère de l’Intérieur peut également attribuer la médaille d’honneur des épidémies (qui compte plusieurs échelons, bronze, argent, vermeil et or) ; il le fait en Algérie, en proie à plusieurs crises sanitaires. Comment sont choisi les récipiendaires ? Ce sont celles et ceux qui « s’exposent à des dangers de contamination, en donnant des soins à des malades (…) », « préservent un territoire ou une localité (…) », « contribuent à répandre la pratique de la désinfection (…) », disent les textes. En 1928, la récompense s’estompe, au profit d’un système de décorations plus unifié. La médaille des épidémies disparaît sans disparaître, définitivement remplacée à l’orée des années 1960 par la médaille d’honneur du service de santé des armées.

Dans le contexte du Covid-19, en marge de la « médaille de l’engagement », les autorités ont fait savoir aussi qu’une promotion unique de l’Ordre national du mérite et de la Légion d’honneur sera officialisée le 1er janvier 2021 ; elle comprendra « une part importante de personnes ayant contribué à la lutte contre le virus à tous les niveaux et dans tous les domaines d’activités ». Certains observateurs un peu acerbes ont relevé que ces distinctions ne devaient surtout pas se substituer à la nécessité de réformes en fond : en particulier, l’amélioration des conditions matérielles de l’hôpital public. Ces mêmes observateurs rappellent volontiers le mot de Napoléon Bonaparte : « C’est avec des hochets que l’on mène les hommes. »

« Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! s’écrit Berlioz

L’épisode est fameux : Bonaparte, qui intervient au Conseil d’Etat le 8 mai 1802, décrit son projet de Légion d’honneur quand il est interpellé par le conseiller Berlier ; celui-ci lui reproche une distinction qui relèverait davantage de la monarchie et de l’arbitraire que de la république et de la méritocratie. La réponse est cinglante : « Les Romains avaient des patriciens, des chevaliers, des citoyens et des esclaves (…). Je défie qu’on me montre une république ancienne ou moderne dans laquelle il n’y ait pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets ! (….) » La première distribution des décorations de la Légion d’honneur a lieu le 15 juillet 1804. Jusqu’en 1814, pas moins de 48 000 légionnaires sont distingués, dont une écrasante majorité de militaires (moins de 1 500 personnes civiles).

Depuis le début, les critiques se font toujours entendre sur une Légion d’honneur qui permettrait aux gouvernants de s’exonérer à bon marché d’autres récompenses ou d’autres obligations. Parmi les assertions célèbres, il y a celle encore de Berlioz :  le compositeur, alors que l’Etat parle de lui décerner une décoration plutôt que lui payer les 3 000 francs convenus pour une messe de Requiem, ne cache pas sa colère : « Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! » Décidément l’univers des décorations est peuplé d’envolées oratoires.

Frédéric de Monicault

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