A-t-on retrouvé la trace du roi Arthur ?

L'existence même du héros n'est pas attestée. Pourtant, en Angleterre, les spéculations vont bon train sur Tintagel et Glastonbury, lieux supposés de sa geste. Quel crédit y accorder ?

En cette année 1191, une nouvelle se répand à travers l'Europe : on a retrouvé la tombe du roi Arthur à l'abbaye de Glastonbury, dans le sud-ouest de l'Angleterre. Le roi Richard Coeur de Lion, flatté de la découverte, se fait remettre les objets que contient la tombe ; parmi eux, l'épée Excalibur. La gloire du roi Arthur rejaillit sur son successeur, car déjà, en cette fin de XIIe siècle, le produit des fouilles archéologiques peut être détourné dans un but politique. Richard ne s'en prive pas.

La légende arthurienne, née dans les siècles du haut Moyen Âge, connaît alors son âge d'or. Arthur, personnage que les sources les plus anciennes présentent comme à la fois historique et fabuleux, à la fois défenseur de l'île de Grande-Bretagne contre ses ennemis anglo-saxons et tueur de monstres fantastiques, est ancré par les textes dans la géographie de l'île. On ne compte plus les sites que la toponymie désigne comme « château du roi Arthur », « pierre de Merlin » ou « siège d'Arthur » : il s'agit la plupart du temps de mégalithes ou de tumulus d'époque néolithique, voire de reliefs naturels. Depuis le Moyen Âge, on identifie donc certains lieux à la figure mythique du « roi d'hier et de demain » : dès le IXe siècle au pays de Galles, un peu plus tard dans d'autres régions de l'île et dès la fin du XIIe siècle dans toute l'Europe. Le succès du cycle légendaire arthurien a en effet permis la diffusion dans tout l'Occident de ce que l'on a appelé la « matière de Bretagne » : un ensemble de légendes, de textes et de récits, transmis oralement ou par écrit, fédérés autour de la figure unificatrice d'Arthur.

L'existence du roi Arthur est mise en doute

L'existence de ce roi de légende est aujourd'hui mise en doute par les spécialistes : aucune donnée ne permet d'affirmer qu'un souverain nommé Arthur aurait bien existé aux environs de l'an 500, pendant l'époque que l'on qualifie généralement de post-romaine les armées romaines ayant quitté l'île vers 410 ou d'âges obscurs non pas tant en raison de la noirceur de l'époque qu'à cause de la rareté des sources écrites. Pour les hommes du Moyen Âge en revanche, cette question ne se pose pas : l'historicité du personnage est considérée par tous comme une donnée sûre et bien établie, transmise par les meilleures autorités, au premier rang desquels l'historien Geoffroy de Monmouth, auteur dans les années 1130 d'une magistrale et très fantaisiste Histoire des rois de Bretagne .

Très tôt donc, on a cherché à identifier des lieux précis en lien avec ceux que mentionnaient les historiens, poètes et romanciers - Geoffroy de Monmouth, Chrétien de Troyes, Robert de Boron - qui avaient fait le succès de la légende arthurienne. Ces auteurs se copient les uns les autres, empruntant à leurs prédécesseurs des lieux et des personnages, mais chacun d'entre eux innove et enrichit la matière de nouveaux noms et de nouveaux épisodes. Le corpus ainsi constitué, parvenu à son apogée au milieu du XIIIe siècle avec le cycle dit du Lancelot-Graal, comprend donc un très grand nombre de toponymes, dont la plupart ne sont pas identifiables dans une géographie réelle : la Joyeuse Garde, la Terre Gaste ou le royaume de Gorre sont des lieux purement mythologiques. D'autres en revanche sont reconnus par les lecteurs médiévaux : Brocéliande en Bretagne continentale, le royaume de Logres correspondant à l'Angleterre, ou encore Salesbieres, lieu du dernier combat d'Arthur, qui n'est que la forme francisée de l'actuelle ville de Salisbury.

Les deux lieux clés de la vie d'Arthur, Tintagel et Avalon

Parmi ces lieux, deux se révèlent particulièrement importants dans la carrière du souverain : Tintagel et Avalon. Ils se situent à chaque extrémité de la vie du roi : le premier est lieu de sa conception, le second de sa sépulture. Ils ont donc rapidement représenté un enjeu politique autant que littéraire. Pour les rois d'Angleterre de la dynastie Plantagenêt 1154-1485, il importe de mettre la main sur les hauts lieux de la mémoire arthurienne, à la fois pour neutraliser les éventuelles récupérations par d'autres souverains et seigneurs, et pour asseoir et légitimer leurs propres ambitions.

Tintagel, presqu'île rocheuse de la côte septentrionale de la Cornouailles insulaire, surplombe l'océan Atlantique de plus de trois cents mètres : battu par les vagues, le site a tout d'un lieu mythique. Il apparaît en effet, dès l'oeuvre de Geoffroy, comme le lieu de la conception magique d'Arthur : le roi Uther Pendragon, aidé par les talents de Merlin, aurait pris les traits du duc Gorlois de Cornouailles afin de partager le lit d'Ygerne, la belle épouse du duc. Les trouvères de la seconde moitié du XIIe siècle en font en revanche le siège de la cour du roi Marc, oncle du héros Tristan et époux de la belle Iseult.

Ces données contradictoires montrent bien qu'il est impossible de prendre pour argent comptant les affirmations de Geoffroy et de ses successeurs. Mais l'intérêt pour le site ne se dément pas depuis le Moyen Âge : plusieurs campagnes de construction, de reconstruction ou de fouilles se sont succédé sur l'espace étroit de la presqu'île. Le premier à investir les lieux est le duc Richard de Cornouailles, neveu de Richard Coeur de Lion et frère cadet du roi Henri III. Dans les années 1230, le duc fait bâtir un château sur le site présumé de la conception d'Arthur : pour ce puissant personnage, premier seigneur du royaume et prétendant au trône impérial, construire un château à Tintagel permet de se présenter comme l'héritier naturel du roi de légende. Les vestiges de ce château, tombé en ruines à partir du milieu du XIVe siècle, sont encore visibles aujourd'hui dans le secteur sud-est de la presqu'île, à proximité de la langue de terre qui la relie à la terre ferme. Il est évident qu'il ne s'agit pas du « château du roi Arthur » mais des restes d'un bâtiment du XIIIe siècle, de huit cents ans postérieurs à l'époque où Arthur, s'il a une quelconque existence historique, a vécu.

Des fouilles archéologiques sont menées dans les années 30

Au XXe siècle, plusieurs campagnes de fouilles ont permis de mettre au jour d'importants vestiges de l'époque post-romaine. Le premier à avoir fouillé le site de manière scientifique est l'archéologue britannique C. A. Ralegh Radford qui, dans les années 1930, parvint à la conclusion que les vestiges et les fondations situées au sommet de la presqu'île n'étaient pas ceux d'un château ou d'une forteresse, mais d'un monastère celtique. En effet, l'absence de structures défensives rapprochait ces vestiges de parallèles fouillés ou reconnus en Irlande.

Plus récemment, les fouilles de Charles Thomas ont amené à réinterpréter ces vestiges et à y voir un complexe palatial datant précisément de ces Ve-VIe siècles durant lesquels est censé avoir vécu l'Arthur historique. Cependant, malgré la découverte en 1998 d'une dalle gravée portant un nom proche de celui d'Arthur, rien ne permet aujourd'hui d'attribuer un nom propre au prince qui, au cours du Ve siècle, régnait sur la région à partir de la presqu'île lire encadré : le point sur les recherches .

Avalon étymologiquement le « verger des pommes » est dans l'imaginaire gallois un lieu de l'autre monde, une île au milieu de l'océan où vivent les esprits bienheureux. C'est aussi l'île mythique où Arthur, blessé au combat en affrontant son propre fils Mordred, aurait été emporté pour y soigner ses blessures. Selon la légende, il y dort jusqu'à son retour, quand il viendra libérer le peuple breton ou gallois de l'oppression de ses ennemis saxons ou anglais. De telles légendes circulent déjà au XIIe siècle, où Arthur apparaît comme une figure emblématique de la résistance à la domination anglaise. Pour les rois d'Angleterre, il importe de neutraliser le potentiel de nuisance que peut représenter ce mythe du retour d'Arthur, mythe qui peut alors fédérer les énergies de leurs sujets bretons dans d'éventuelles révoltes. La découverte de la sépulture d'Arthur à Glastonbury en 1191 tombe donc à pic.

Abbaye fondée au VIIe siècle sur une « île » des marais de la Brue, dans le Somerset, Glastonbury est, au XIIe siècle, l'un des monastères les plus anciens, les plus riches et les plus influents d'Angleterre. L'abbaye est alors au centre d'un réseau de traditions fort ancien, se voulant antérieur à la présence anglo-saxonne. Pendant tout le XIIe, l'abbaye est le lieu d'une abondante production littéraire : les nombreuses vies de saints et les ouvrages historiques ont pour but d'augmenter la renommée de l'établissement et d'attirer en plus grand nombre les pèlerins - et leurs dons généreux ! Ainsi, l'historien Guillaume de Malmesbury compose vers 1130 un traité intitulé Sur l'ancienneté de l'église de Glastonbury : il y rapporte entre autres merveilles comment la tombe de Gauvain, neveu d'Arthur, a été découverte près de l'abbaye sous le règne de Guillaume le Conquérant, et identifie le site à l'Insula Avallonia des légendes bretonnes. Même si l'association du site avec la légende arthurienne n'est pas beaucoup plus ancienne, elle est donc antérieure à l'époque des Plantagenêt.

Une croix de plomb porte le nom d'un roi Arthur

Or en 1191, dans la deuxième année du règne de Richard Coeur de Lion, les moines de Glastonbury « découvrirent » une ou plusieurs tombes et une croix de plomb portant une inscription mentionnant le roi Arthur. Les circonstances de cette exhumation nous sont rapportées par divers auteurs dont les versions divergent au point qu'il se révèle difficile de reconstituer les faits avec précision, d'autant plus que la croix a disparu à une date inconnue : nous ne la connaissons donc que par les descriptions d'époque et par une gravure de la Britannia , ouvrage d'un érudit du XVIIe siècle, William Camden. Le texte que ce dernier propose ne correspond pas exactement avec ceux des auteurs médiévaux mais Camden, qui a vu la croix et en a reproduit la forme et le tracé, est sans doute ici la source la plus fiable. Sa leçon est la suivante : Hic iacet sepvltvs inclitvs rex artvrivs in insvla avalonia « Ici gît enseveli l'illustre roi Arthur dans l'île d'Avalon ».

Avait-on retrouvé la tombe d'Arthur ? De fait, tout suggère un faux : la croix ne date pas du Ve-VIe siècle, et ne saurait donc être la « pierre tombale ». L'association entre Glastonbury et Avalon est l'oeuvre de Guillaume de Malmesbury et n'apparaît pas avant lui ; le fait de désigner Arthur comme « roi » ne peut être antérieur au Xe siècle ; le qualificatif « illustre » inclitvs renvoie plutôt à des inscriptions du VIIIe-XIe siècle ; l'écriture, d'après le dessin de Camden, daterait plutôt du Xe siècle. L'hypothèse de la supercherie est donc la plus probable : de fait, peu importe pour un faussaire de 1191 que la croix ressemble à un objet du Xe plutôt que du VIe siècle, du moment qu'elle ait l'air « ancienne ».

La croix a beau être un faux, les moines ensevelissent à nouveau le corps en grande pompe, espérant sans doute créer un pèlerinage, qui ne se développera jamais. Ils offrent par ailleurs au roi Richard l'épée trouvée dans la tombe, bien évidemment identifiée à la légendaire Excalibur. Richard l'échangera quelques mois plus tard avec le roi Tancrède de Sicile contre quelques navires afin d'emmener ses troupes en croisade. Par la suite, l'abbaye capitalise sur cette découverte : l'association entre Glastonbury, Avalon et la légende arthurienne est fréquente dans les textes à partir du début du XIIIe siècle, au point que se développe un récit selon lequel Joseph d'Arimathie, qui mit le Christ au tombeau au soir de sa mort, aurait apporté le Graal jusqu'en Bretagne, et plus précisément à Glastonbury.

Des fouilles plus récentes ont eu lieu à Glastonbury sous la direction de Philip Rahtz. Celui-ci a mené des investigations à la fois sur le site de l'abbaye médiévale et sur le tor , la haute colline qui surplombe l'abbaye et la fait apparaître comme une île au milieu des marais. La vocation monastique précoce du site a été confirmée tout de même pas, bien entendu, à l'époque de Joseph d'Arimathie, mais aucune inscription n'a permis d'en confirmer les associations arthuriennes, qui doivent donc être mises au compte des seuls moines du XIIe siècle, soucieux à la fois de plaire à leur roi et de favoriser le rayonnement de leur monastère.

Alban Gautier

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