“Homo collabo” et héros hétéro

Le 9 octobre 2017 s'est tenu, au Théâtre 14, à Paris, un colloque sur la place de l'homosexualité dans la Résistance. Ce sont les actes de ce colloque, auquel ”Historia” a participé, que nous mettons en ligne aujourd'hui.

Sommaire du dossier

 

Introduction

En intitulant sobrement ce colloque “Résistance et homosexualité”, sans effet de manche ni annonce fracassante, Historia entend ouvrir un débat sur, d’une part, la place des homosexuels dans la Résistance et, d’autre part, sur le déni qui a longtemps prévalu, dans les rangs mêmes des résistants, sur l’orientation sexuelle de certains de ses plus éminents représentants, comme Daniel Cordier ou Pascal Copeau.

La pièce Jean Moulin. Évangile, de Jean-Marie Besset (à l’affiche au Théâtre Dejazet, à Paris, jusqu’au 17 novembre), a servi de catalyseur à ce colloque.

Retraçant, au plus près du réel, les grandes heures de la vie du héros de la Résistance, de juin 1940 à juin 1943, Jean-Marie Besset prête à Jean Moulin une liaison homosexuelle avec un Basque rencontré à Londres. Cet aspect de la vie de Moulin ne constitue nullement le fil directeur de la pièce. Pour autant, bien que mineure dans le propos et le déroulé de l’œuvre de fiction, cette hypothèse introduit une nuance de taille dans le portrait idéalisé que l’on se fait du chef de la France libre.

Jean Moulin, gay? Inconcevable…

La question de l’homosexualité présumée de Moulin est évoquée depuis longtemps, toujours en des termes péjoratifs, car elle dérange les mentalités et lézarde le monument que la Nation a érigé au fidèle lieutenant de De Gaulle mort sous la torture. Récemment, elle a fait l’objet d’une enquête du journaliste de Vanity Fair Guillaume Dasquié, qui s’est notamment heurté à Daniel Cordier, qui, bien qu’homosexuel, s’évertue à récuser les présomptions sur l’homosexualité de Moulin, pour faire de lui un “homme à femmes”.

Crime de lèse-Résistance

L’objectif de ce colloque n’était pas de faire des révélations fracassantes sur les inclinations de tel ou tel résistant, de faire en quelque sorte de l’outing sauvage, mais plutôt de s’interroger sur la figure du héros en temps de guerre. Un héros que les stéréotypes les plus courants assimilent à un homme, combattant courageux et généreux (au sens où il est prêt à donner sa vie pour une cause), animé de hautes valeurs morales (qu’il accepte de défendre par les armes, au besoin).

Ce portrait-robot correspond au cliché du mâle hétérosexuel.

Pas de place ici pour les femmes – et moins encore pour les hommes n’ayant pas d’attirance pour les femmes.

En préparant ce colloque, nous nous sommes aperçus que s’il y a bien une chose que partagent la plupart des collaborateurs et des résistants, c’est ce dénigrement, voire cette détestation, de l’“inverti”.

L’homosexuel est assimilé au lâche, au faible, à un être non fiable et, hormis quelques exceptions célèbres, les adeptes de ce que l’on nommait du temps de Louis XIV le “vice italien” ont dû raser les murs et ne pas manifester leur différence, que ce soit dans les rangs des partisans ou dans ceux des miliciens.

Pour les résistants comme pour les “collabos”, l’homosexuel est donc objet de moquerie et de mépris. Son inclination sexuelle est considérée au mieux comme une déviance, au pis comme une perversion.

Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler la propagande haineuse déversée sur les ondes de la BBC à l’encontre du ministre de l’Éducation de Vichy, Abel Bonnard (homosexuel notoire surnommé “la Belle Bonnard” ou “la Gestapette”) ; c’était moins son rôle de collabo zélé que ce qu’il incarnait, à savoir un “pédéraste”, qui était pointé du doigt par les Français libres.

Ces saillies font étrangement écho à la croisade répressive contre les homosexuels, “corrupteurs de la jeunesse”, entreprise par Vichy par son ordonnance du 6 août 1942. Ce texte, dont Patrick Buisson a décrit la genèse et l’application dans un vaste essai sur l’érotisme sous Vichy, fera l’objet d’un développement au cours de ce colloque.

Les préjugés faisant de l’“inverti” un être fragile, aux manières efféminées – un “sexe faible”, pour reprendre un autre cliché sexiste –, ne datent évidemment pas de la guerre. Mais la guerre n’y a pas mis fin, bien au contraire. Au contraire: la polarisation binaire des positions, entre les héros et les salauds, Vichy et la Résistance (même s’il existe des zones d’ombre entre l’un et l’autre, et des passerelles entre les deux camps), semble avoir exagéré, et rendu outrancières, certaines considérations sur les figures du héros, du traître, du lâche.

Désillusion de l’après-guerre

À la Libération, les idéaux portés par la Résistance, sur le plan social comme dans le domaine politique, omirent la cause homosexuelle.

La répression à l’encontre de cette communauté s’accrut même sous la Ve République lorsque d’anciens résistants prirent des mesures sévères pour punir un peu plus cette pratique. Il faudra attendre 1981 pour qu’enfin l’homosexualité ne soit plus considérée comme une maladie mentale – et l’année suivante pour qu’elle soit dépénalisée. Et ce n’est qu’à la toute fin du XXe siècle (1998), avec le PACS,  qu’elle a bénéficié d’une nette avancée sociale.

La société française, aujourd’hui, si elle est sur ce point plus permissive, reste malgré tout braquée et se raidit dès lors que les modèles hétérosexuels du couple et de l’amour sont remis en question.

Si, en France, un homosexuel ne peut plus être poursuivi en raison de son orientation sexuelle, il n’en reste pas moins que les agressions verbales ou physiques à l’encontre de cette communauté n’ont pas cessé, loin de là.

Le regard que porte sur ce sujet jugé “sensible” la société dans son ensemble, et la sphère familiale en particulier, est à ce point péjoratif et préoccupant que la découverte de son homosexualité constitue, pour les communautés LBGT (lesbiennes, bisexuels, gays et transsexuels), notamment chez les garçons adolescents, l’une des premières causes de suicide.

Il y a donc urgence à modifier la perception que l’on se fait de l’homosexualité, à la déculpabiliser, à l’accepter.

Cela passe notamment par l’abandon des stéréotypes toujours extrêmement genrés sur la force mâle, le “sexe faible”, les hommes efféminés, les femmelettes et autres tantes, tout un lexique qui inocule un poison dans les esprits.

Et par l’abandon de toute référence machiste à la figure du héros.

C’est là l’un des objets de ce colloque: prouver que l’héroïsme n’est pas affaire de virilité.

Xavier Donzelli

 

Newsletter subscription form block

Inscrivez-vous à notre newsletter